Le dur de la vie
Une tribune de Jean-Michel Galano, responsable du PCF à Saint-Cloud.
Le mouvement des gilets jaunes devrait rappeler à tout le monde quelques vérités élémentaires. Oui, ce mouvement frappe par sa brutalité, par son populisme, par son absence massive de culture politique et plus encore de solidarité, par la xénophobie qui s’y exprime sans complexe. Sans parler de son caractère violemment anti-étatiste.
Pas de revendications concernant les services publics, ni le pouvoir d’achat, ni même le désenclavement des territoires « oubliés de la République » Rien de rien sur l’écologie. Pas de remise en cause du capital, ni de la politique de Total, pas de proposition pour taxer le kérosène, Aucune solidarité, bien au contraire, avec des luttes fédératrices comme celles des cheminots ou des personnels hospitaliers.
Les choses sont évidemment plus complexes et plus diversifiées sur le terrain, mais telle est bien la tendance. Une tendance qui va interdire à ce mouvement de faire tache d’huile, de gagner et de durer, mais qui révèle au grand jour des choses inquiétantes.
Car le signal interpelle.
Je veux bien que l’écologie soit la question majeure du XXI° siècle. Je veux bien, même si j’en doute fort, que le salaire à vie et les fab-labs soient une voie d’avenir. Je n’ai pas à être convaincu de l’importance des questions sociétales : féminisme, antiracisme, lutte contre les discriminations, contre la mal-bouffe, pour le mieux vivre, le vivre ensemble… Je suis actif dans l’aide aux migrants, et le comportement des gilets jaunes qui dans la Somme les ont remis à la police discrédite l’ensemble du mouvement.
Mais enfin, il y a des gens, des masses de gens, pour qui tout cela est un luxe. Le petit pêcheur qui ne peut plus sortir qu’un jour sur deux à cause du prix du carburant, les familles qui se sont installées en milieu rural pour fuir des loyers dissuasifs et des conditions de vie urbaine de plus en plus dégradées et pour qui la voiture est une nécessité vitale, les retraités déjà lourdement taxés et dont la facture de fuel explose, les chômeurs, les gens qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, allez leur parler de la ligne carbone !
Toute une partie de la gauche, depuis des dizaines d’années, valorise fortement, mais parfois unilatéralement, les questions du désir, de l’émancipation et de la libération individuelle. Mais il n’y a pas que le désir dans la vie humaine : il y a aussi les besoins, besoins basiques, fondamentaux, à peu près dépourvus de toute dimension esthétique : se loger, se nourrir, se chauffer, « avoir de quoi », comme on dit… même l’emploi, qui est pourtant la clé de tout, arrive un peu après : comment voulez-vous trouver un job si vous n’avez pas les moyens de faire le plein pour y aller ?
La crise conduit de plus en plus de personnes à vivre dans l’immédiat. La revendication immédiate, ce n’est pas la qualité de la vie, c’est la survie, et pour survivre, l’accès à l’énergie est indispensable.
Une partie de la gauche s’est déconsidérée à parler pistes cyclables et convivialité en négligeant ce qui fait l’ordinaire de la vie des gens, le socle sans lequel rien de durable ne peut être construit. Ce socle est resté nu, exposé aux attaques du capital, et qui fait mine de vouloir le défendre ? La droite et l’extrême-droite, avec tout ce que cela charrie de racisme, de régressions patriarcales, de complaisances vis à vis du patronat, de violence. Ceux qui se sont illusionnés sur la faisabilité d’un « populisme de gauche » ne peuvent que constater les dégâts.
Mais le retour de bâton est cruel pour une gauche qui s’est trop souvent payée de mots, du mépris soixante-huitard concernant les « revendications quantitatives » jusqu’à « l’écommunisme », en passant par le slogan socialiste des années 70 « changer la vie », et plus près de nous les « désirs d’avenir », si décalés par rapport aux attentes et aux souffrances réelles…
Parce que pendant ce temps-là, on ne se préoccupait pas, ou trop peu, des changements effectifs qui altéraient la vie des gens : austérité, autoritarisme, vie chère, travail précaire, casse des usines, répression contre les militants syndicaux. C’était du social cela, pas du sociétal.
Le dur de la vie se rappelle toujours au bout d’un certain temps à ceux qui avaient cru possible de l’ignorer.
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