Le scandale des EHPAD aux mains d'actionnaires privés

Alors que paraît au grand jour le scandale des crèches privées à la lumière des révélations de Victor Castanet dans son livre « Les ogres », revenons sur celui des EHPAD dénoncé par le même auteur dans « Les fossoyeurs ».

Le système de santé français va mal. Les médias, les patients, les familles, les soignants, les politiques, tout le monde en convient. La première cause de cette dégradation c’est le manque de personnel soignant médical et paramédical, principalement dans le secteur public, dans les campagnes comme dans les villes.

Que s’est-il passé pour qu’un système qui était considéré comme exemplaire avant les années 2000 soit aujourd’hui en grande difficulté pour répondre aux besoins de la population ? Les réponses sont sans doute multiples et complexes mais il arrive que surgisse un exemple permettant d’entrevoir comment s’est joué le processus de dégradation.

À l’occasion d’un vote au parlement sur une proposition de loi « grand âge » un débat réunissait sur France Inter, mardi 19 mars 2024 : Victor Castanet, auteur du livre ; Laurent Guillot, directeur d’Orpea ; Annie Vidal, députée Renaissance, et Jérôme Guedj, député PS.

Tous les intervenants tombent d’accord sur la nécessité de mettre en place des dispositifs spécialisés pour les seniors très dépendants. Mais il faudrait au moins 9 milliards sur trois ans et il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’état. Après ce constat navrant, Laurent Guillot, directeur d’Orpea détaille toutes les mesures qu’il a mises en place dans ses 353 établissements pour améliorer le sort des résidents dans ses EHPAD : augmenter le salaire des personnels, renforcer les effectifs, améliorer l’encadrement.

Orpea, autrefois condamné pour maltraitances des pensionnaires de ses établissements, a découvert que lorsque le personnel est en nombre suffisant, il a plus le temps de s’occuper des personnes dépendantes ; il est plus à l’écoute ; il peut pratiquer des soins de confort ; il aide au repas plus calmement ; les besoins de base sont respectés. En étant mieux rémunérés les soignants se sentent plus motivés et fidélisés.

La vraie raison de cette évolution ? Un changement de financeurs. La famille Peugeot et les Fonds de pensions canadiens ont vendu leurs parts. Ils ne pouvaient plus avoir un rendement à 30 % après le scandale médiatique. Les actionnaires privés n’investiront dans le système de santé qu’à la certitude d’un bon rendement, incompatible avec une qualité de soins et de confort les meilleurs possibles.

Et qui alors a acheté au prix fort des actions qui ne valaient plus rien ? L’État bien sûr, par l’intermédiaire de la Caisse des Dépôts et d’autres repreneurs comme la MAIF. À la suite du scandale, le nom d’Orpea a été changé en Emeis (Article du Monde du 20 mars 2024), pour redorer son image mais aussi pour attirer les investisseurs dont NATIXIS qui a été elle-même l’objet de deux scandales récupérés par les finances publiques.

La mise en place d’un système de santé solidaire voulu par le Conseil National de la Résistance excluait toute offre de soins non égalitaire. Il est très dangereux alors de créer des filières concurrentes. Mais les problèmes de financement de la Sécurité Sociale ont incité les politiques à casser le pacte de solidarité qui unissait tous les Français. Ils ont pour cela créé de la concurrence en lieu et place de la coopération et de l’entraide avec pour conséquence directe le découragement des personnels auprès des patients les plus fragiles. Au début des années 2000 on a autorisé la mise sur le marché financier des institutions de Santé et on a fait appel à des groupes privés pour augmenter l’offre. Malgré tout le déficit de la Sécurité Sociale et le manque de lits ont perduré.

Le scandale d’Orpea est emblématique de la rupture du contrat solidaire du système de santé. Orpea découvre après toutes les dénonciations de maltraitances que les soins de qualité passent par du personnel respecté et en nombre suffisant. La dépense d’une institution de santé se répartit à 70 % pour les salaires et 30 % pour les investissements et les consommables. Pour faire des bénéfices, il faut rogner sur le personnel et les consommables.

L’exemple de la clinique de Trappes, Hôpital privé de l’Ouest Parisien, appartenant au groupe Ramsay, illustre l’échec de la substitution d’un établissement public par un privé.

Dans un secteur de plus d’un million d’habitants avec des problèmes sociaux difficiles il était possible de répondre à la globalité d’une demande de soins de qualité tout en rémunérant des médecins dans le secteur 2 avec dépassement d’honoraires et en satisfaisant les actionnaires du Groupe Ramsay. Tout avait été mis en place par les autorités de santé des Yvelines pour ce succès en supprimant toute concurrence publique dans le secteur de Saint-Quentin.

Mais dès la première année de son rachat par Ramsay en 2015 la clinique affichait un déficit de 8 millions d’euros. Et ensuite chaque année un nouveau déficit est venu s’ajouter pour atteindre aujourd’hui 22 millions. Comme il n’est plus question pour les dirigeants de la clinique de laisser continuer une telle dérive financière, ils font le choix de se retourner vers l’État et le budget de la Sécurité Sociale.

Pour concilier soins de qualité et bénéfices, il n’y a qu’une méthode : sélectionner les patients soit en fonction de leurs moyens financiers soit par leurs pathologies (maladies aigues pour le privé et maladies chroniques pour le public). Mais cette double sélection est contraire au contrat social de santé public du Conseil National de la Résistance et du préambule de la loi sur la Sécurité Sociale.

La solidarité est un choix qui ne peut s’accommoder de critères de sélection des patients, elle est l’accomplissement de la mission des soignants. Les médecins recherchent et réalisent le meilleur traitement possible et les paramédicaux aident techniquement et psychologiquement le patient dans son parcours de soins.

Cette crise est très bien illustrée par le documentaire sur la chaîne Arte : Hold up sur les vieux.

La rédaction

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